Une Vie Au Vietnam (1934-1979)-Tome2
3- LE NOUVEAU LEVANT *
Je devais déménager à la Cité Universitaire vers le début des années 1955. Au rond point des six rues de Chợ Lớn, vers le Nord-Est, il y avait le boulevard Minh Mạng qui allait jusqu’au rond point des sept rues. Là, il y avait une station d’autocars qui faisaient la navette entre Saïgon et les six provinces. Le long de ce boulevard il y avait des boutiques d’artisans qui fabriquaient des meubles.
A gauche, le boulevard Nguyễn Trãi. Tout près du rond point, près de notre Cité, il y avait une gargote où on vendait du phở (soupe tonkinoise) appelé phở Tương Lai, très bon et pas cher. Quand on devait travailler très tard dans la nuit, un bol de cette soupe était incomparable.
A droite, une petite rue dans un quartier résidentiel calme, chic et tranquille. En tournant à droite à 45°, on était sur un autre boulevard sur lequel on voyait une série de restaurants où on vendait une soupe chinoise au canard. Même quand il ne faisait pas chaud les serveurs chinois ne portaient qu’un caleçon d’une propreté douteuse, présentant leur bedaine comme s’ils étaient fiers de leurs spécialités, leur soupe était très connue dans tout Saïgon et très prisée. Moi-même je l’appréciais beaucoup. La qualité de cette soupe se reconnaissait à la limpidité du bouillon, à son goût impeccable rehaussé par les cinq parfums, aux cuisses de canard, bien cuites, suffisamment pour qu’on les désosse d’un seul coup de baguettes. Avec cette soupe, on pouvait aussi déguster des tranches très minces de papaye verte à peine mûrie, trempées dans du vinaigre sucré. Après, on se régalait d’un petit dessert de gelée d’algue noire glacée (phục lình cấu). Quoi de plus délicieux?
Sur le rond point des six rues, face au Sud-Ouest, il y avait deux rues formant un V qui allaient directement au centre ville de Chợ Lớn. Celle de gauche portait toujours le nom Minh Mạng. Elle passait devant une église et le grand portail d’entrée de la Cité Universitaire, à deux cents mètres du rond point. La rue à droite portait le nom du colonel Trần Hoàng Quân. Elle passait devant le quartier résidentiel des professeurs de l’Université et du personnel, la porte arrière de la Cité Universitaire, les laboratoires de Physiologie et l’Institut Anatomique. Si on continuait à avancer de ce côté on sentait l’odeur agréable du houblon fermenté, surtout quand il faisait chaud et venteux, venant de l’usine de fabrication de la bière et des Boissons Gazeuses de l’Indochine (BGI). Les bouteilles de verre brun étaient marquées d’un logo jaune, dessin de la tête d’un tigre et des grappes de houblon.
Ces deux rues en V délimitaient la Cité Universitaire. C’était un terrain triangulaire dont la pointe était la villa du professeur Trần Đình Đệ, face au rond point. Sur le trottoir, il y avait un kiosque ambulant de bière BGI, de couleur jaune, qui stationnait jour et nuit. On y trouvait toutes sortes de boissons gazeuses. Evidement il y avait aussi des petites crevettes séchées et des échalotes à la sauce aigre douce. Sur la toiture et les portières de ce kiosque ambulant il y avait des publicités : Lave la Rue (Lave : prononciation du mot bière des gens du Sud) en rouge écarlate sur fond jaune. Ainsi les enfants rigolaient en disant que là où il passe la rue sera propre. J’étais un client fidèle à ce bar pour une carafe de bière sous pression, un ramequin de crevettes séchées et un petit pot d’échalotes. C’était vraiment délicieux. Cet amuse-gueule était l’image traditionnelle inoubliable de Saïgon.
La Cité Universitaire fut mon domicile pendant plusieurs années. Je l’aimais et elle me manque car elle m’a laissé beaucoup de souvenirs. Je me mettais souvent sous le grand portail et regardais le boulevard Minh Mạng bordé d’arbres ombrageux dont la verdure est persistante. Il allait très loin jusqu’au centre ville de Chợ Lớn. En face il y avait l’Eglise du Rond Point (nhà thờ ngã sáu Chợ Lớn) dont la tour dépassait les cimes. Il y avait un petit passage entre la Cité Universitaire, les Laboratoires de Physiologie et l’Institut Anatomique. Un midi, tous les étudiants étaient partis, je restai seul à l’Institut Anatomique. Par curiosité je me baladai parmi les bassins de conservation des cadavres. Attiré par le bruit d’un petit jet d’eau quelque part je montai sur les marches et regardai dans le plus grand bassin. Il y avait cinq personnes, dans une raideur cadavérique, immergées dans de l’eau formolée, leur peau était noircie. Dans un coin, une jeune femme enceinte, vers le quatrième mois, encore bien blanche, était debout, les bras écartés et posés contre les parois, les cheveux mouillés et ébouriffés, l’eau montait jusqu’au cou. Une sensation de froid m’envahit. Je quittai le lieu. A la cantine, le déjeuner était presque fini, la vaisselle sale était encore éparpillée partout. Je choisis une place en attendant trois autres pour former une table complète. J’avais un goût amer et j’avais soif…
Les dortoirs de l’internat des étudiants se trouvaient juste derrière le grand portail d’entrée. Dix immeubles préfabriqués se partageaient un terrain vaste en deux rangées de cinq sur chaque côté. Ils étaient parallèles au boulevard Minh Mạng, laissant une allée bitumée qui reliait l’entrée et le poteau sur lequel flottait le drapeau national jaune aux trois stries rouges. Ils étaient construits en parpaings sans plafond et la toiture était recouverte de feuilles de fibrociment. Quand il faisait grand soleil et qu’il n’y avait pas de vent, c’était une vraie fournaise.
Dans chaque immeuble il y avait une cloison longitudinale plus haute qu’un homme qui le divisait en deux compartiments antérieur et postérieur. Ceux-ci étaient divisés en cinq chambres égales par des cloisons transversales, chaque chambre pouvait recevoir cinq étudiants célibataires. Chacun avait à sa disposition un lit individuel, une armoire, une table de nuit. Le bureau était long et fixé le long du mur sous les fenêtres et se divisait en cinq parties égales, munie chacune d’une petite étagère. Devant chaque étagère il y avait une ampoule de vingt cinq watts munie d’un abat-jour. Les structures sanitaires communes étaient regroupées au fond de chaque immeuble. Les deux immeubles près du portail étaient réservés aux étudiants mariés. On y trouvait quelques noms assez connus parmi nous : Nguyễn Phúc Thành (nommé long Thành, médecine), Roãn Quốc Sỹ (lettres, écrivain), Nguyễn sỹ Tế (droits), Trương ngọc Tích (médecine), Ngô Văn Hiếu (médecine), Nguyễn Đăng Hồng (médecine), Quản Quang Hoa (médecine), Nguyễn Tư Mô (dentaire)…
La bizarrerie de ces immeubles était qu’on y manquait d’intimité. La cloison longitudinale et les cloisons transversales étaient tellement basses qu’on pouvait se serrer la main par dessus si on montait sur son lit. Les chuchotements étaient audibles dans tout l’immeuble pour quelqu’un qui avait l’oreille fine. C’est pourquoi il s’y déroula un petit incident assez regrettable dans un immeuble des étudiants mariés.
Deux jeunes mariés s’aimaient c’est normal. Mais ce n’était pas facile ! A minuit, on entendit des gémissements de plaisir, cela gêna beaucoup le voisinage. Quelques uns ont même fait des remarques. Pauvres jeunes mariés ! Avant le chant du coq le couple a dû déménager à la hâte et en douce pour ne pas être vus !
J’occupais la chambre n°3 de l’immeuble n°7 (3/7). Mes ‘colocataires’ étaient Tchang- Té-Uyên (architecture), qui était d’origine chinoise mais ne parlait que vietnamien, il était maigre, les cheveux ébouriffés, jovial et très aimable. Lê Thành Trinh (architecture) était doux, et taciturne. Trần Qúi Trung (médecine militaire), était studieux et également taciturne. Nguyễn Khắc Ngữ (histoire et géographie), était rond, bavard et très souriant.
Dans d’autres bâtiments des étudiants célibataires je peux citer :
En Médecine : Phạm sỹ Thế, Ngô đình Thuấn, Từ ngọc Quang, Vũ hữu Bao, Ngô văn Hiếu, Trương trọng Hiếu, Nguyễn hòa Hiếu, Từ Uyên, Vũ Lan, Phùng quốc Anh, Bùi mộng Hùng, Ngô vi Dương, Vũ xuân Bôi, Trần văn Kim, Phạm tu Chính, Tôn thất Gia, Dương thiệu Gia, Đinh viết Hằng, Nguyễn đức Thành, Phạm Tiễn, Nguyễn tấn Phong, Nguyễn tấn Quý, Nguyễn đăng Hồng, Vương tú Toàn, Nguyễn hữu Đích, Nguyễn Phong, Vũ gia Ân, Vũ tiến Lợi, Vũ tiến Bản, Vũ tiến Thông, Quách đức Bảo…
En Pharmacie : Tô Đồng, Bùi đình Nam, Bửu Quế, Bửu Đơn…
En Dentaire : Trần Tú (le petit frère du professeur Trần Anh), Nguyễn lục Soạn…
En Lettres : Lưu trung Khảo, Trần cự Uông…
En Droits : Phạm văn Thuyết, Nguyễn tiến Đạt (Đạt Tồ)…
En Sciences : Đặng vũ Huyến
La présence inattendue et nombreuse des étudiants, des professeurs, des personnels et de leurs familles créa une animation permanente dans ce quartier universitaire. Des marchands ambulants les ont considérés comme leurs clients préférés. Du matin au soir nous étions visités par ces marchands qui nous abordaient jusque sous les fenêtres. On n’avait pas besoin d’aller chercher ailleurs car toutes sortes de friandises, de fruits frais et divers de très bonnes qualités du Sud du Vietnam, prêts à être consommés, nous étaient présentés sur place. Je peux citer : des oranges de Cái Bè succulentes et juteuses, des mangues, des mangoustans, des goyaves, des papayes, des ananas, des pamplemousses de Biên Hòa, des caramboles… des riz gluants au noix de coco râpé, aux haricots verts, aux haricots rouges, aux maïs… des soupes sucrées aux sojas, au jus de coco et à la crème de soja… si on y avait ajouté la soupe tonkinoise ambulante (phở), cela aurait été complet ! Malheureusement les étudiants n’étaient pas des nantis. Parfois on devait se partager une mangue à trois. Parfois on devait se contenter de regarder passer la charmante vendeuse. Elle avait l’habitude de poser sa palanche de marchandises dans un coin de la pelouse et de chanter ses marchandises avec une voix douce et captivante. Au bout d’un moment, ne voyant aucune réaction de ma part elle pouvait se demander si j’en avais assez ? Silencieusement elle soulevait sa palanche et partait, son torchon strié retombant sur ses épaules rondes et mignonnes.
Cette période fut vraiment paisible. Dans les premières années de la première République du Sud Vietnam (1954-1959), notre pays s’était lancé sous un ciel clair comme le cristal, dans une atmosphère climatique favorable et harmonieuse entre soleil, vent et pluie. Le territoire, à cette époque, était vraiment entre les mains des citoyens. Toutes sortes de véhicules y compris les deux roues motorisées, pouvaient circuler le long de la route nationale n°1 depuis le 17ème parallèle jusqu’à la pointe de Cà Mâu, depuis Saigon jusqu’aux provinces, aux hauts plateaux… sans jamais être contrôlés par qui que se soit. On n’avait pas besoin de parler de la Liberté ni du Bonheur… car ces deux termes étaient déjà là réalisés partout sur le territoire. Jamais je n’ai vécu une si belle vie!
La Faculté Mixte de Médecine et de Pharmacie de Saigon occupait modestement toute une villa. S’il n’y avait pas eu la pancarte sur le portail elle aurait été considérée comme tant d’autres du quartier. Une distinction assez nette était la présence des étudiants qui allaient et venaient toute la journée. La fête de fin d’année était remarquable. Durant ma première année universitaire j’avais eu, par hasard, la chance d’assister à une cérémonie solennelle de Promotion Définitives des Titres Universitaires des professeurs dans une ambiance intime. Je ne savais pas depuis quand la cérémonie avait commencée. Ce jour-là comme tant d’autres je venais dans le but de m’informer sur les affiches du secrétariat. Quand je passais la porte, je vis une foule dans des tenues vestimentaires impeccables rassemblée sur le gazon devant l’immeuble et derrière la haie de clôture. Une rangée de tables couvertes de nappes blanches sur lesquelles étaient rangées des flûtes de champagne, des pots de fleurs, ce qui me dirent qu’il allait y avoir certainement une réception. L’ambiance était calme et tranquille. Il était aux environs de cinq heures de l’après-midi. Au lieu de repartir sur mon vélo la curiosité me retint sur place. Soudain la grande porte du perron s’ouvrit, des professeurs apparurent, flottant dans leur toge noire à rayures et épaulettes rouges. C’était impressionnant. Ils sortirent de la bibliothèque en file indienne. Il me semble qu’avant, il y a eu une séance où ils avaient prêté serment. Sur le gazon ils commencèrent à se féliciter en trinquant avec leur flûte de champagne. La cérémonie devait durer encore longtemps mais je quittai le lieu. Ultérieurement je compris que la Faculté Mixte de Médecine et de Pharmacie de Saigon à l’époque était encore une annexe de celles de Paris. Cette cérémonie était célébrée solennellement dans l’intimité et la simplicité suivant la tradition et les instructions de l’Académie de Médecine de Paris. Les professeurs Auguste Rivöalen, Montagné, Trần Quang Đệ, Nguyễn Hữu, Phạm Biểu Tâm et Trần Đình Đệ étaient présents.
Quelques années plus tard, quand Ngô Đình Diệm, le Président de la République a coupé la relation culturelle avec la France, j’y vis un grand dommage car les étudiants vietnamiens ont perdu une belle tradition qui me semblait avoir une grande valeur. Ce fut triste que le gouvernement mette la culture en dessous de la politique et moi je le vis comme un grand malheur.
Je n’ai pas le droit de juger l’Histoire mais je porte le regard d’un citoyen. Ngô Đình Diệm avec le soutien des américains a aidé presque un million de gens du Nord à fuir le Communisme, a anéanti les trois partis du grand banditisme Cao Đài, Hòa Hảo, Bình Xuyên qui ont fait des ravages dans le Sud, y a installé solidement des structures sociopolitiques. Mais il a commis deux graves erreurs. Il a laissé aux américains la liberté d’ingérence dans la vie politico-militaire du Sud Vietnam ce qui a poussé le peuple et les partis d’opposition à lutter contre le gouvernement. Il a mis trop de confiance dans le pouvoir du Comité International du Contrôle du Cesser le Feu (celui-ci n’avait aucun pouvoir réel) et a négligé le contre-espionnage et s’est montré incapable à endiguer l’infiltration des Communistes dans le Sud. Certains ont dit que si Ngô Đình Diệm avait pu rallier à lui, les trois partis rebelles (qui étaient très efficaces dans la lutte anticommuniste) cela aurait fortifié sa position politique et la défense du territoire.
A l’époque tout le peuple a été ravi lorsque les trois partis de la mafia ont été anéantis. On se sentit soulagé car on pensait qu’on n’aurait plus à payer de rançons. Mais, ironie du sort, au fur et à mesure on a dû payer des rançons à un autre parti plus sanguinaire venu de Hanoï. Les dernières années de la première République, le peuple rural a dû vivre dans une atmosphère étouffante, la République le jour, le Communisme la nuit ! Trois partis du grand banditisme ont été anéantis, non seulement le peuple du Sud fut heureux mais Hanoï aussi fut fou de joie !
Malheureusement, à l’époque, Ngô Đình Diệm était davantage préoccupé par la consolidation de son trône que par la lutte anticommuniste. Etant dans les conditions favorables d’un vainqueur il décida de porter un coup mortel au dernier blockhaus camouflé de Bảy Viễn, le chef suprême de Bình Xuyên l’un des trois partis du banditisme, soutenu par les français coloniaux. Un certain nombre d’étudiants furent autorisés à accompagner le Commandant en Chef de l’opération pour assister en direct au déroulement. Evidement je n’ai pas loupé cette bonne occasion.
Le convoi militaire était prêt devant la Cité Universitaire à Chợ Lớn pour nous emmener directement aux alentours de la forêt de mangroves. Au RDV, le quartier général de l’opération, j’ai vu la présence de la presse nationale et internationale. Le système d’enregistrement était prêt à fonctionner. Le Commandant était le Lieutenant Colonel Dương Văn Minh. Après une courte interview au QG tout le monde descendit en se partageant des petits bateaux motorisés de la force navale. La presse et nous descendîmes dans le bateau le plus grand occupé par le Commandant et son état major. C’était la première fois que j’observais en direct un décor et une ambiance militaire. On entendit le bruit tic…tic… des appareils de transmission qui fonctionnaient. On vit de gros canons noirs orientés des deux côtés et prêts à cracher le feu. Le Commandant ne portait qu’un kimono. Il était costaud, taciturne et avait la peau mate.
Les bateaux se dirigèrent vers les arroyos, dense comme un filet, et pénétrèrent dans une forêt de mangroves de haute taille, à peu près dix mètres, dont les branches très feuillues s’entremêlaient. Le soleil était haut. La marée était basse, laissant à découvert des racines enveloppées de boue humide. On s’avançait lentement. On n’entendait aucun bruit d’oiseau, on ne rencontra aucun obstacle. On n’entendait que le ronronnement du moteur des bateaux. Des poissons grenouilles fuyaient en éclaboussant de la boue partout. Pendant toute la matinée on ne vit âme qui vive. La chaleur accablante du soleil et l’étouffement des feuillages denses commençaient à nous fatiguer. Tard dans l’après-midi, le Commandant nous offrit un repas froid avec pain et saucisson et nous dit que si on n’avait rien trouvé jusqu’à maintenant cela voulait dire qu’il (Bảy Viễn) avait pris la fuite.
Finalement une nouvelle arriva. On avait trouvé sa cachette. Tout le monde s’impatienta. Il fallut débarquer et aller à pied sur une longue distance en rabattant les feuillages. Arrivé, je me demandai si c’était vrai ? Cachée au fond de la forêt, il y avait une hutte minable de dix mètres carrés, totalement vide ! Un chef de banditisme de Saigon-Cholon s’était caché dans un tel endroit ! C’était lamentable !
--- Il est maintenant au large !
Ce furent les derniers mots du Commandant avant de mettre fin à une opération si fade et sans aucune importance.
Le soleil s’inclinait à l’horizon, nous dîmes au revoir au Commandant. Un bateau de la force navale nous ramena par voie maritime. La nuit s’approchait et on entendait la marée montante. Le vent du soir fit rage sur la surface de l’océan. Le bateau fonça en direction du Cap St. Jacques (vũng tàu) en coupant les vagues. On aperçut le phare dans le brouillard. Nous débarquâmes juste au moment où la ville de Vũng Tàu s’éclaira. Un convoi militaire nous attendait au bord de la route pour nous emmener passer la nuit dans le Cercle des Officiers. Nous rejoignîmes notre Cité Universitaire le lendemain matin. Arrivé dans ma chambre je me sentis épuisé. En me regardant dans la glace je sursautai. Une seule journée au soleil et j’étais bronzé comme après un mois de vacances sur la plage. Mais dans mon âme j’étais très content d’avoir eu une excursion significative et agréable.
Le 20-Juillet-1955 était le premier anniversaire de la division du Vietnam en deux. Le Général Communiste Văn Tiến Dũng qui, de Hanoï, était venu à Saigon, sous la protection du Comité International de Contrôle du cessez-le-feu, crut qu’il allait être bien accueilli par le peuple du Sud pour organiser la réélection générale pour la réunification du territoire. Il n’avait jamais soupçonné la terrible colère ni les manifestations populaires contre lui. Les étudiants furent en première ligne. Ils montèrent sur l’Hôtel Majestic à sa recherche pour le lyncher ! Malheureusement il était déjà trop tard ! Je ne fus pas étonné quand j’appris que c’était lui-même qui avait dirigé l’opération pour annexer Saigon par la force le 30-Avril-1975. La chute de Saigon était la conséquence d’un marchandage politico-économique entre les Etats-Unis-Richard Nixon et la Chine Communiste, les Américains devaient abandonner le Sud Vietnam et Taiwan (expulsé du Comité de Sécurité de l’ONU). Le 14-6-2011 cette vérité douloureuse a été révélée et publiée par les Archives Nationales des Etats-Unis et les Archives Nationales de Sécurité des Etats-Unis après 40 ans de silence et de mensonge.
Pendant les trois premières années de la première République du sud Vietnam le peuple avait vécu dans l’atmosphère calme, tranquille et heureuse du Nouveau Levant. A partir de l’année 1958, surtout quand Ngô Đình Diệm chercha à consolider son trône, le Sud Vietnam entra dans une impasse. Nous, les jeunes, avons été emportés par un tourbillon politique et dans cette guerre civile nous n’avons été que des pions dans une partie d’échecs. Après la chute de Saigon tous les cadres et militaires de la République du Sud Vietnam ont été emprisonnés dans des camps de « lavage du cerveau ». Un grand nombre s’est échappé soit par bateau soit par radeau sur les océans à la recherche d’une terre d’accueil. Certains étaient morts. Ceux qui sont encore en vie ont été oubliés, abandonnés au bord de la route ou dispersés dans tous les coins insolites des cinq continents.