Une Vie au Viet Nam (1934-1979) - TOME 2
14- La Tanière des Serpents Venimeux *
Je ne peux oublier la situation des gens coincés à Saïgon après le 30-4-1975. Ils s’efforçaient de survivre en attendant des jours meilleurs. Dans l’angoisse parce qu’ils ne savaient pas ce qu’était le socialisme ? Pour eux ce n’était pas un problème. Mais ils s’inquiétaient pour l’avenir de leurs enfants. Plus les socialistes parlaient, plus ils se révélaient ignorants même de choses très banales. Mais on n’avait pas le droit de les contrarier. Endoctrinés depuis des décennies par l’idéologie de Marx et de Lénine ils croyaient que tout le monde devait penser et parler comme eux, c’était ‘ la pensée unique’. De plus, leurs paroles étaient renforcées par des camps de lavage de cerveau. Devant des cadres et des enseignants incultes les parents d’élèves cherchèrent tous les moyens de partir. Ce fut la cause et le début de l’exode. Malheureusement, nombreux étaient ceux qui les croyaient, à cause de leur légèreté et les communistes en ont profité pour les utiliser habilement comme ‘cadres officieux’ bénévoles, chefs de groupe. Après le 30-4-1975 des personnages de ce genre surgirent partout jusque dans les coins perdus de la capitale. Leur parole pouvait mettre les autres dans des situations inquiétantes. Les communistes se vantaient de ces révolutionnaires. On appela ces ‘cadres bénévoles’ ‘les révolutionnaires du 30-4’.
Mon quartier était pauvre ; après ce jour historique il devint pire encore. Il se montra chaotique, sinistre, lamentable, désordonné, sale. On n’y vit que des visages sans âme. On ‘raclait’ tout ce qui restait dans la maison pour vendre afin de survivre. Même des choses sans aucune valeur, à ce moment pouvaient rapporter quelques pièces de monnaie. Tout le quartier connaissait ceux qui voulaient partir en douce, car leur maison se vidait. S’ils étaient dénoncés, c’est la prison qui les attendait. Si la fuite était empêchée par quoi que ce soit, il fallait jouer la comédie pour éviter les obstacles. Un jour, tout le monde observait son absence dans une réunion régulière obligatoire du quartier, et on savait alors que la personne était partie. Ceux qui étaient généreux souhaitaient que la personne arrive à bon port. Ceux qui étaient méchants espéraient qu’elle se noierait dans l’océan. La police populaire (chaque policier est un membre titulaire du parti) avait le droit d’entrer et de sortir, avec un fusil kalachnikov, chez les gens, comme elle voulait et quand elle voulait, sans scrupule. Toutes les maisons appartenaient à l’Etat dont le gérant était le Parti. Les gens pouvaient continuer à y habiter avec son accord. Sans accord de l’Etat, le ‘propriétaire’ devait quitter la maison avec seulement ses vêtements habituels, tout le reste devait rester sur place et appartenait à l’Etat.
Autrefois, dans mon quartier, il y avait une relation chaleureuse entre les voisins, mais à ce moment, personne n’avait plus confiance en personne. La base sociale éclata en miette du jour au lendemain. En plus, depuis la présence des communistes, des éléments sociaux changèrent aussi leur comportement. Le cabinet médical de ma femme, dans la petite allée du sureau, fonctionnait mais au ralenti car, chaque jour, elle devait faire la queue, parfois toute la journée, pour le ravitaillement. Parfois, elle attendait son tour pendant des heures, sous la pluie ou sous le soleil, pour pouvoir acheter des aliments, souvent périmés. La nuit, si quelqu’un frappait à la porte, elle l’accueillait chaleureusement pour apporter son aide. Bien que son stock de médicaments soit épuisé, son comportement et ses conseils, à cette période, étaient une consolation et rassuraient les patients. Durant les premiers mois, en contact avec les cadres et la police populaire, elle avait compris une chose importante. Les organisations administratives ou militaires étaient complètement indépendantes les unes des autres et ne dépendaient pas directement des services aux plus hauts niveaux, sauf dans les cas particuliers. Depuis, elle avait pris de l’assurance et répondait du tac au tac à tous ses interlocuteurs. L’important était de savoir raisonner positivement. Toutes ses activités à la maison n’avaient rien à voir avec mon sort dans le camp. Mais au début, dans l’ignorance totale, elle avait toujours peur qu’un geste mal calculé de sa part puisse avoir des conséquences néfastes pour moi. En réalité c’était la façon des ‘libérateurs’ pour effrayer et menacer. Et les ‘révolutionnaires du 30-4’ étaient leurs complices. Bon nombre de gens de Saigon reçurent de très bonnes leçons.
1/ Première leçon :
J’avais déjà été emmené dans un camp de détention quand une femme du quartier, (ma femme l’appelait la mère de Oanh), crut deviner que ma femme m’avait caché quelque part en attendant le feu vert du Consulat pour partir en France. Ainsi, une nuit, pendant que toute la famille dormait, la police armée frappa à la porte et fonça à l’intérieur. L’un d’entre eux, qui sentait l’alcool, enfonça le canon de son arme dans la gorge de ma femme et la poussa dans un coin, lui interdisant de crier. Les autres fouillèrent dans tous les coins, même au dessus du plafond, sans me trouver bien sûr. En colère, ils la menacèrent en quittant les lieux. Ils continuèrent à surveiller la maison pendant une semaine. Ma femme ne se doutait pas de la dénonciation calomnieuse faite par la commère. Elle continua à la soigner comme d’habitude, jusqu’au jour où une voisine lui souffla à l’oreille que cette bonne femme était complice de la police. Alors ma femme comprit pourquoi elle avait été victime de cette intervention policière.
2/ Deuxième leçon :
La première chose que les communistes imposaient aux gens c’était de refaire le carnet de famille. Dans une journée, la police armée entrait dans la maison deux ou trois fois, sans frapper et pointait son nez dans tous les recoins. Une écolière de 16 ans entra plusieurs fois, portant avec elle une feuille de papier et demandant à ma femme de déclarer tous les membres de la famille. Chaque fois ma femme rédigea la même chose. La dernière fois, l’écolière jeta son crayon en éclatant en sanglots. Calmement ma femme lui demanda :
--- Ma chère ! Qu’est-ce qu’il y a ?
--- Docteur ! Je suis obligée de faire ce travail, Excusez moi.
--- Calme-toi ! Tu es obligée de le faire. Eh bien, moi aussi, je suis obligée de déclarer plusieurs fois. Nous sommes tous coincés. Ne t’en fais pas. Fais comme si de rien n’était. Tu as compris ce que je veux dire ?
L’écolière reprit son attitude d’avant. Elle s’essuya les yeux en partant et en la remerciant.
3/ Troisième leçon :
Après avoir envahi Saïgon, la capitale du Sud, les communistes contrôlèrent, gérèrent et fermèrent à clé toutes les pharmacies de la ville et des hôpitaux. Ils firent une liste des médecins, spécialistes, et pharmaciens pour s’en servir quand bon leur semblait. Sur l’autre rive de la rivière Saigon, à Khánh Hội il y avait une entreprise française appelée Acétylène (Air liquide) qui fournissait des bonbonnes de gaz et d’oxygène aux hôpitaux et aux autres entreprises. J’étais le médecin consultant de la direction et du personnel. Les premiers jours après la chute de Saigon les communistes avaient fermé à clé la pharmacie. J’étais déjà dans un camp. La direction demanda à ma femme de me remplacer. L’infirmière Lựu fut nommée par eux, médecin (une tradition socialiste). En présence de ma femme elle continua à se comporter comme tel. Pour distribuer des médicaments il fallait son accord. Le directeur (communiste) était spécial. Chaque fois que sa mère tombait malade il envoyait une voiture pour chercher ma femme, car sa mère n’avait confiance qu’en elle. Rien de plus logique.
L’ancien directeur était parti en hâte la veille du 30-4-1975. Son directeur adjoint Đương était resté sur place. Un jour, il vint voir ma femme pour un problème oculaire. Après la consultation elle prit un flacon de collyre pour le lui donner. Lựu l’arrêta net, le reprit et le rangea dans la pharmacie en grognant, l’air dédaigneux :
--- Maintenant ce n’est plus comme avant. Cette pharmacie est réservée au personnel. Vous êtes le directeur, vous n’y avez pas droit. !
Mr.Đương regarda ma femme, stupéfait, éberlué et attendit sa réaction. Mais elle laissa tomber et rédigea une ordonnance pour qu’il en achète au marché, sur les trottoirs, car les autres pharmacies de la ville étaient dans la même situation. Depuis ce jour, Lựu fit tout ce qu’elle voulait comme un grand chef, un médecin titulaire.
Un midi, Lựu vint chez ma femme, le visage tout vert. Ma femme lui demanda :
--- Mon Dieu ! Qu’est-ce que vous avez ?
--- Docteur ! Je vais bien, mais il y a un employé gravement malade. Venez ! Je vous en prie !
--- Et bien ! Faites votre travail et soignez le ! Pourquoi venez-vous me chercher ? Si ça ne marche pas, envoyez-le à l’hôpital !
--- Je vous en prie, ne vous fâchez pas contre moi. Ce jour là vraiment j’ai fait une grosse erreur. Si je l’envoie à l’hôpital sans diagnostic je serai réprimandée. Si je ne l’envoie pas et si son état s’aggravait, ma faute serait encore plus grave. Je ne sais pas quoi faire. S’il vous plait, aidez-moi !
--- Qu’est-ce qu’il a ?
--- Il a très mal au ventre et il vomit beaucoup.
--- Est-ce qu’il a la fièvre ?
--- Je vous en prie, ne me posez plus de question…
Ma femme se mit à califourchon sur le porte bagage de son scooter et toutes les deux foncèrent à Khánh Hội… Depuis ce jour, Lựu devint douce comme un agneau. Elle ne se comporta plus en chef. L’employé malade avait été sauvé à temps à l’hôpital, une demi-heure plus tard, il aurait été perdu.
4/ Quatrième leçon :
Depuis que Mr. Giác avait été nommé chef de groupe, ma femme subit beaucoup de mesquineries et elle était toujours sur les nerfs. Dans l’ignorance totale au début, tout le monde croyait que les gestes et le comportement de l’épouse, à la maison, pourraient beaucoup influencer sur le sort du mari détenu dans un camp. Mr. Giác en profitait. Il savait bien que toutes les affaires concernant les gens du quartier devaient passer par lui. Il se montra hautain. Ma femme attendit devant sa porte pendant des heures, l’air soumise, pour avoir sa signature avec quelques mots favorables pour la demande de ma libération. Mais il prit son temps et fit semblant de chercher quelque chose. Il héla son fils :
--- Qui a pris le stylo que je viens de poser ici ?
Personne ne répondit. Il pleuvait. Pendant encore dix minutes il fouilla toutes ses poches, tous les recoins de son bureau. Un policier s’abrita en courant dans sa maison et dit :
--- Eh ! Giác ! Prends ton Bic pour noter ce que je vais te dire pour la réunion du quartier ce soir.
Il dit ‘oui monsieur’ en prenant tout de suite son Bic sur la table pour écrire sur son carnet de note. Quand le policier fut parti il se tourna vers ma femme:
--- Mon Dieu, le Bic est là ! Et je le cherche depuis tout à l’heure ! Oui ! Passez-moi votre papier. C’est à quel sujet ?
Après avoir lu et relu il posa sa signature. Ma femme déposa cette demande au bureau de la police du quartier. Le policier jeta un coup d’œil sur la feuille et se montra exaspéré. Il dit à ma femme de le suivre chez Mr. Giác :
--- Eh ! Giac, ta signature n’a aucune valeur si tu ne marques pas quelques observations sur la conduite de l’intéressée. Tu te montres incapable même pour une si petite chose.
Alors il se résigna à écrire quelques mots. Après les avoir lu le policier dit à ma femme :
--- Bon ! Le problème est réglé. Pas de souci. Vous pouvez rentrer.
5/ Cinquième leçon :
Chaque famille avait un carnet de registre du nom, de la date et du lieu de naissance de chacun de ses membres. C’était un carnet datant de l’ancien régime mais contrôlé sous le communisme. Un jour Giac demanda à voir ces registres et il souligna les mots ‘nationalité française’ qu’il soupçonnait falsifiés. Il convoqua tout le monde à une réunion, chez lui, en présence d’un policier. Avant de commencer il avait demandé à ma femme de déposer le carnet familial, avec les attestations de nationalité de mes enfants, (tous ces papiers avaient été fournis depuis longtemps par le Consulat de France). La réunion se déroula de midi jusqu’au soir et à huis clos. Quand ce fut terminé, une femme qui était présente à la réunion vint devant notre porte. Après avoir été certaine que personne ne la voyait, elle entra en courant. Elle se jeta sur un fauteuil, dans un coin, une main posée sur sa poitrine comme si elle s’essoufflait, de l’autre, elle rendit tous les papiers à ma femme. Son cœur palpitait. Quand le calme lui revint elle dit :
--- Au début de la réunion j’ai eu peur pour vous, Docteur. D’après Mr. Giac, vous seriez inculpée de falsification car il y avait dans le carnet une trace de gommage.
--- Comment était la conclusion ? Pourquoi cette réunion a-t-elle été si longue?
--- Vos papiers sont rédigés en français. Personne ne comprend rien. Finalement le policier a dit à Mr. Giac :
« Je vois qu’elle est française. Le Consulat s’occupe de ses enfants en l’absence de son mari. Quand ils seront adultes, ils auront le droit de choisir leur nationalité mais maintenant ces enfants doivent être sous la protection de leur mère. C’est tout à fait dans les normes. Pourquoi m’as-tu fait venir d’urgence pour une chose si ridicule ! Merde ! On a perdu tout l’après-midi pour rien ! ».
6/ Sixième leçon :
Mon fils cadet avait cinq ans, sa grande mère en avait quatre vingt. Elle s’occupait de son petit fils. Chaque fois qu’il y avait une réunion des propriétaires du quartier, ma femme la représentait car elle était trop faible. Chaque fois mon fils s’accrochait à sa mère de peur qu’elle disparaisse, comme son père. La réunion se déroulait souvent sur le terrain, à l’ombre du grand sureau, devant notre porte. Tout le monde s’accroupissait pour écouter les instructions du cadre. Mon fils se tenait à côté de sa mère, parfois il somnolait puis se réveillait pour vérifier la présence de sa mère. Il semblait comprendre les choses. Un jour pendant un repas, il demanda à sa mère :
--- Es-tu française ?
--- Oui chéri ! Je suis eurasienne.
--- Pourquoi tu ne dis rien quand on maudit les français ?
Personne ne lui avait appris mais, depuis, il haïssait les communistes. C’était la réaction naturelle et normale d’un gamin. Ainsi, le jour où il quitta le Viet Nam, il ne voulut plus qu’on lui parle de tous ces mauvais souvenirs. Dans son esprit, Viet Nam était le lieu de la haine et des représailles.
7/ Septième leçon :
Il était 2h du matin. Après une journée pénible ma femme dormait profondément. Elle fut réveillée par le bruit de quelqu’un qui secouait la porte et criait :
--- Vous êtes médecin. Quand on tape à la porte, c’est qu’il y a une urgence ! Il faut ouvrir vite ! Ce pays est en révolution, rien n’est plus comme avant.
L’esprit lui revint. Ma femme se frotta les yeux, alluma et courut à la véranda. Elle vit une femme avec une fillette de cinq ans. Celle-ci faisait des grimaces, gémissait en se serrant le ventre. Elle ouvrit la porte, la tint par le bras et l’amena dans son cabinet.
--- Tu as mal au ventre depuis quand ?
--- Depuis deux jours.
Elle jeta un regard de réprimande et dit à cette femme :
--- Depuis deux jours ! Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour l’emmener et pour crier comme une folle ?
La femme se tut. Ma femme mit l’enfant sur la table et l’examina. Rien de grave. Elle lui fit une piqûre. Au bout de cinq minutes, l’enfant se sentit mieux. Elle descendit et vint se tenir à côté de la femme. Celle-ci prit dans sa poche une poignée de billets et la posa sur la table. Elle n’avait pas eu le temps de partir que déjà ma femme criait à tue-tête pour que tous les voisins, qui avaient été également réveillés, soient au courant :
--- Prenez votre argent et fichez le camp ! J’ai survécu jusqu’à maintenant et ce n’est pas grâce à votre argent. Les relations entre les voisins sont plus importantes que ça. C’est pour cette petite fille que j’ai ouvert la porte. Ce n’est pas parce que j’ai peur de vous. Je vous dis une chose : Ne me menacez jamais au nom de la révolution car je n’en ai pas peur non plus. Allez-vous-en ! Immédiatement !
Le lendemain matin, la mère de la fillette vint s’excuser auprès de mon épouse et lui demanda pardon pour l’incident de cette nuit. Ma femme découvrit que cette folle commère était …sa belle mère !
8/ Huitième leçon :
Nous avons quatre enfants, trois filles et un fils cadet. Minh est l’aînée, elle avait 12 ans à ce moment. Ma femme s’inquiétait devant son épanouissement précoce. Des garçons venaient souvent la persuader de s’engager dans l’organisation des jeunes révolutionnaires. Minh était ignorante de tous les dangers qui l’attendaient. Danser, chanter ensemble était ses activités favorites. Ma femme devait la surveiller tout le temps et n’osait jamais la laisser partir seule. Trân, la deuxième, était aussi pour ma femme un grand souci. Elle était la meilleure élève de violon de sa classe. Mais elle était écartée de l’Ecole Nationale de Musique parce que son père était dans un camp. Mais à chaque représentation télévisée un cadre venait chez moi pour persuader ma femme de laisser Trân participer au spectacle, et chaque fois avec une promesse :
--- Si tu jouais les morceaux révolutionnaires, ton père serait libéré.
Chaque fois Trân prenait son violon et partait, les yeux pleins de larmes. Un jour, il était déjà midi passé, Trân n’était pas revenue. Ma femme arriva sur place mais sa fille n’était plus là. Il faisait très chaud mais elle eut des sueurs froides. Jusqu’au soir on lui dit que Trân était en salle d’enregistrement. Elle se résigna à attendre devant la porte. Depuis ce jour Trân refusa toute participation car elle n’y voyait que des mensonges. Un jour, en rentrant à la maison, Claudette vit un cadre en train d’attendre devant le seuil, cela créa une certaine curiosité dans tout le quartier. En voyant ma femme, il la salua et lui serra la main. Claudette l’invita à entrer. C’était le directeur de la section culturelle qui venait en personne demander à ma femme de laisser Trân continuer à participer à l’orchestre. Claudette dit :
--- Participer ou pas, c’est son droit. S’il vous plait, demandez-lui.
Mais rien ne pouvait faire changer l’attitude de ma fille. Quand le cadre fut parti, les voisins se précipitèrent pour se renseigner. Profitant de cette occasion, Claudette parla assez fort pour que tout le monde puisse l’entendre :
--- Rien d’important. Le représentant du sous-préfet est venu en personne pour étudier notre situation. Car il trouve que depuis toujours je me comporte très bien et il ne comprend pas pourquoi mon mari n’est pas encore revenu.
Les ‘révolutionnaires du 30-4’ reçurent ce jour là un coup de fouet psychologique en plein coeur. Depuis, Mr.Giác commença à considérer Claudette autrement. Il lui proposa de ne plus faire la queue. Il allait faire apporter les bonnes denrées directement chez elle. Mais elle avait refusé.
9/ Neuvième leçon :
Dans la ruelle qui était derrière la mienne il y avait un étudiant appelé Liêm. De mon âge, il jouait double jeu. Il n’avait jamais été appelé sous les drapeaux. Je ne savais pas quelle faculté il avait fréquentée avant. Chaque fois qu’il était malade il venait me demander de lui faire une piqûre de vitamines complexes. Je n’avais pas eu la curiosité de savoir quel métier il exerçait. Quand j’étais dans le camp, il continua à venir demander à ma femme quelques conseils sur son état de santé, mais jamais il lui demanda de mes nouvelles. Un jour il lui dit solennellement :
--- Il faut que vous collaboriez avec les révolutionnaires pour survivre. Je les connais bien car j’ai travaillé avec eux. Il faut que vous m’écoutiez.
--- Dites moi comment faire pour collaborer avec eux ?
--- Vous devriez agrandir votre cabinet pour faire des consultations bénévoles, pour eux et pour les gens d’ici. Je vais vous les envoyer.
--- Cela a l’air très facile comme vous dites ! D’accord ! Mais ma maison est juste pour mes enfants. Allez chercher ailleurs une grande salle, organisez vous avec des matériaux convenables, des médicaments, des instruments chirurgicaux. Quand vous serez prêt, je serai à votre disposition une fois par semaine. Oui ! Cela va arranger tout le monde !
--- …! ! !
Quand il sut que ma femme et mes enfants étaient prêts à partir en France il chercha à la rencontrer. Cette fois, après avoir été sûr qu’ils étaient seuls, il chuchota :
--- Vous allez partir en France. Moi aussi j’ai quelqu’un là-bas. Je vous prie de lui dire de faire pour moi un certificat d’hébergement. Je vous passe son adresse. Notez-la svp car je n’ose pas écrire une lettre.
--- Nous devons partir car nous ne pouvons plus vivre ici. Tandis que vous êtes un bon collaborateur, ce sera dommage !
--- …! ! !
10/ Dixième leçon :
Năm, la porteuse d’eau, continuait son métier depuis la chute de Saigon. Mais elle devint heureuse. Un jour, elle entra dans le cabinet de ma femme. Quand l’examen fut fini elle voulut payer les honoraires. Comme d’habitude ma femme avait refusé, mais elle dit :
--- Faites-moi plaisir cette fois, docteur. Ne vous en inquiétez pas. Actuellement, mes enfants et moi vivons mieux que vous grâce à ma fille Út, la cadette. Elle est la coiffeuse des cadres maintenant et elle gagne beaucoup plus que vous.
Un jour, Út vint voir ma femme pour une petite contusion labiale. Elle était devenue grande et prospère. Ma femme sursauta en voyant sa lèvre :
--- Pourquoi ta lèvre est si gonflée ?
--- Docteur, je ne vous le cache pas. C’est à cause des bộ đội (militaires communistes). Je travaille souvent pour eux. Hier, tout à coup l’un d’entre eux m’a violée pendant longtemps et il m’a mordue jusqu’à sang.
--- Oh ! Mon Dieu !
--- Vous ne savez pas. Ces gens là ils sont pires que les américains.
Des leçons comme celles-ci, il y en avait encore beaucoup. Ma femme en avait tiré une chose importante. C’était les ‘révolutionnaires du 30-4’ les plus redoutables. Par contre, il y avait des cadres communistes qui venaient la remercier après avoir été bien soignés ou sauvés à temps. Quelques uns l’avaient même accompagnée jusqu’à l’aéroport. Elle y vit comme une consolation malgré le fait qu’ils aient créé beaucoup de malheur au peuple vietnamien.